Rencontre à l’Ouest !

Le parcours qui mène à la recherche dans l’enseignement supérieur est particulier à chacun, mais la persévérance et la passion sont des dénominateurs communs à tous. Lucie Genay, maître de conférence en civilisation des États-Unis  et Soazig Villerbu, professeure des universités en histoire contemporaine spécialiste de l’Ouest américain nous expliquent leur parcours à travers une interview croisée.

Vous travaillez toutes les deux sur l’histoire américaine, mais vous n’appartenez pas à la même équipe de recherche…

Lucie Genay:

Je suis civilisationniste spécialiste de l’Ouest des Etats-Unis aux 20 ème et 21 ème siècles , membre de l’équipe EHIC et de la FE2C (Fédération pour l’Etudes des Civilisations Contemporaines). Nous n’appartenons pas à la même section CNU mais nous étudions toutes les deux l’histoire. En France, les champs disciplinaires sont très définis. Certains collègues civilisationnistes se dénifissent plutôt comme politologues, spécialistes de cultural studies ou autre… Aux Etats-Unis, je suis en général considérée comme historienne.

Soazig Villerbu :

Effectivement, en France, il peut y avoir un problème de légitimité pour les civilisationnistes du fait de leur manque d’ancrage supposé dans la discipline historique. Nous ne sommes pas rattachées à la même équipe, je suis membre du CRIHAM, mais nous avons des axes de recherche proches. Nous nous sommes d’ailleurs rencontrées lors du congrès annuel de l’AFEA (Association Française d’Études Américaines) qui avait lieu à La Rochelle en 2015 : j’y étais modératrice et Lucie intervenait à l’époque en tant que doctorante.

Quel a été votre parcours pour devenir enseignante-chercheure?

Lucie Genay :

J’ai fait hypokhâgne, khâgne, puis une Licence LLCER en Anglais et un Master LCE à l’Université de Savoie dont un an en échange à l’Université du Nouveau Mexique. J’ai ensuite passé le Capes et l’Agrégation avant d’entamer mon doctorat. J’ai su dès l’enfance que je voulais enseigner, mon choix s’est porté sur l’anglais, même si, étant alsacienne, j’avais commencé par l’allemand.

L’histoire m’a toujours passionnée, alors quand j’ai compris que le seul endroit où je pouvais enseigner l’histoire en anglais était l’université, j’ai décidé de suivre des études pour tenter de devenir « prof de fac ». Je savais que ce serait long et difficile ; on a  même essayé de m’en décourager, mais avec de la persévérance, du travail et un peu de chance, on peut y arriver. J’ai obtenu un poste  en tant que maître de conférence à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines en 2016.

L’intérêt pour les États-Unis m’est venu après les attentats du 11 septembre 2001, j’étais enfant et je n’ai pas compris le déferlement médiatique : pourquoi cet événement aux USA  faisait-il la une de tous les journaux télévisés pendant des semaines alors qu’il se passait d’autres choses terribles dans le reste du monde dont on ne parlait pas du tout ? Cela m’a intriguée et je me suis intéressée à l’histoire de ce pays et à sa place particulière dans le monde. Je suis aussi de la génération Friends qui a fasciné beaucoup de jeunes dans les années 2000 ; mais au delà de l’influence médiatique et culturelle, c’est surtout la contradiction qui règne dans l’histoire de ce pays des extrêmes qui m’a interpellée.

La nouvelle histoire de l’Ouest permet de s’interroger sur la notion d’empire. J’ai choisi le Sud-Ouest des États-Unis  comme terrain de recherche car je voulais étudier « l’Amérique profonde » et  l’histoire de la région est très riche.

Soazig Villerbu :

Pour ma part après avoir refusé hypokhâgne, j’ai suivi des études d’histoire à l’Université de Poitiers (DEUG) et Rennes-2 Haute-Bretagne (Licence). J’ai fait ma maîtrise à l’Université de Montréal puis un DEA et un doctorat à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Entretemps j’ai également passé l’agrégation d’Histoire à Rennes et j’ai donc commencé ma carrière en étant professeure d’Histoire-Géographie pendant 8 ans dans deux lycées en Normandie. J’ai continué à faire de la recherche en étant enseignante dans le secondaire, mon établissement me permettait de faire des séjours de recherche aux États-Unis. J’étais fière de publier dans des revues scientifiques au nom du lycée. J’ai ensuite obtenu un poste de maître de conférences à la Rochelle et j’ai validé mon habilitation à diriger des recherche en 2013. Mon attrait pour les USA vient de mon enfance. J’ai baigné dans la culture western avec John Wayne et l’émission «  La dernière séance », animée par Eddy Mitchell que je regardais à la télévision. Je lisais également des bandes dessinées.

Ma première idée de sujet de thèse concernait le corps expéditionnaire américain en Bretagne dans la Première Guerre mondiale, sujet que j’ai donné plus tard à une de mes étudiantes. Puis je me suis intéressée à la Nouvelle Histoire de l’Ouest qui constituait un champ historiographique émergent au début des années 1990.

Lucie Genay :

C’est important de préciser que de nombreux enseignants du secondaire publient et participent à la recherche.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiantes et étudiants qui souhaitent se lancer dans une carrière universitaire ?

Soazig Villerbu :

Le conseil que je donnerais aux étudiants qui souhaitent faire de la recherche, c’est d’abord de passer un concours de l’enseignement, Capes ou Agrégation, pour avoir toujours un filet de sécurité.  Et surtout de choisir un sujet de recherche avec lequel on entretient un vrai rapport.

Lucie Genay :

Oui , c’est tout à fait cela, c’est une voie de passion. Il faut y croire même si c’est difficile et long. Il faut également lire beaucoup et aimer ça ! C’est ce qui nourrit notre vision et nous fait acquérir des habitudes rigoureuses pour citer correctement nos sources, les classifier…

La recherche doit être objective mais n’est jamais neutre. Dans ce sens, la recherche aux USA est un peu différente de celle pratiquée en France, car les chercheurs affichent plus volontiers leurs convictions politiques.

Soazig Villerbu :

Mais on retrouve cela aussi en France, en fonction des discipline étudiées. En fonction du champ de recherche, les historiens sont souvent davantage marqués à droite ou à gauche.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre travail d’enseignante-chercheure ?

Soazig Villerbu :

Je travaille actuellement sur des familles de migrants dans le Missouri entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe siècle, les archives américaines sont très faciles d’accès. J’ai plusieurs fois bénéficié de bourses de recherche financées par des dépôts d’archives et j’en ai également fait bénéficier mes doctorants. Être français constitue peut-être un avantage et j’ai toujours été bien accueillie.

Lucie Genay :

Dans notre champ de recherche, ce qui  coûte cher, ce sont les voyages. Lorsque l’on part aux USA, il faut vraiment rentabiliser son temps, on part pour quelques semaines et c’est du non stop pour organiser des entretiens, faire des copies, prendre des photos et ainsi récupérer un maximum de sources à traiter par la suite.

Actuellement, ma recherche porte sur l’histoire de la production d’armes nucléaires. Tout un pan d’archives est classé secret défense et bien sûr, en tant que française, je n’ai pas accès à certains sites. La question de la légitimité est aussi épineuse, mais être étrangère a l’avantage de donner un regard extérieur à la situation.

Soazig Villerbu :

Le financement de la recherche est très différent aux États-Unis, ce sont des financements individuels et non collectifs. J’ai bénéficié de 7 bourses  de recherche américaines et canadiennes. Les dépôts d’archives et les sociétés historiques des États financent des projets de recherche individuels.

Je m’intéresse également à l’histoire environnementale, je vais essayer de travailler sur l’histoire de la race bovine notamment en la comparant avec l’Histoire de l’Amérique de l’Ouest.   Il faut essayer de développer des projets collectifs pour répondre aux appels à projets régionaux et nationaux.

Lucie Genay :

Développer son réseau est primordial dans le travail de recherche. En début de carrière ce n’est pas toujours facile. J’ai effectué une mission d’enseignement à l’université de Bamberg l’an dernier dans le cadre du programme Eramus Teaching, c’est aussi un bon moyen de développer le réseau en plus des colloques et des journées d’études.

Travailler sur le nucléaire en France est compliqué et très politisé. J’avais l’idée de travailler sur l’uranium en Limousin, mais ce n’est pas pour tout de suite.

Et l’enseignement ? Comment la recherche  imprègne votre travail d’enseignante ?

Soazig Villerbu :

A Limoges, je donne en Licence des cours sur le XIX ème siècle en Europe (L1) et en Amérique du Nord (L3) et je souhaiterais injecter une dimension d’histoire environnementale en lien avec la recherche que je souhaite développer.

Lucie Genay :

L’intérêt du métier d’enseignant-chercheur, c’est que notre enseignement se nourrit de notre recherche et inversement. On sort aussi parfois aussi de son domaine. Je donne par exemple un cours sur le sport et l’apartheid qui a nécessité d’autres recherches, mais cela m’a beaucoup intéressée.


Pour en savoir plus :

Lucie Genay vient de publier  The Land of Nuclear Enchantment: A New Mexican History of the Nuclear Weapons Industry , Albuquerque : Presses universitaires du Nouveau-Mexique, 2019

Soazig Villerbu a  publié, entre autres,  La Conquête de l’Ouest. Le récit français de la nation américaine au 19ème siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007., Les missions du Minnesota. Catholicisme et colonisation dans l’Ouest américain, 1830-1860, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014 (disponible en ligne : https://books.openedition.org/pur/42629).

Bande dessinée western. Histoire d’un genre, Paris, Karthala.

Contacts :

Lucie Genay :  " target="_blank" rel="noopener noreferrer">

Soazig Villerbu :