Etienne Delay : « Ce sont les rencontres et les opportunités qui forgent le cursus universitaire »

Etienne Delay est géographe, il a effectué tout son cursus universitaire à l’Université de Limoges. Il  travaille depuis 2018 au Centre Internationnal pour la recherche agronomique et le Développement (CIRAD).
Il nous explique son parcours universitaire qui l’a mené de la biologie à la géographie en passant par l’informatique et l’écologie. Un parcours riche de rencontres et de rebondissements !


  • Quel est votre parcours universitaire ?

J’ai un parcours en zig-zag qui m’a emmené de la biologie à la géographie en passant par l’écologie. J’ai finalement arrêté de zig-zagger en choisissant la géographie du master à la thèse, car j’ai pu y trouver une intégration disciplinaire des approches et des valeurs qui me tenaient à coeur. J’ai effectué un Master Pro à l’université de Limoges (Valorisation du Patrimoine et Aménagement du Territoire) en parallèle d’un DEUST « Webmaster et gestionnaire d’intranet » (sur le campus virtuel de l’université de Limoges), et j’ai eu la chance de pouvoir poursuivre avec une thèse toujours à Limoges sur la modélisation des territoires viticoles sous la direction d’Eric  Rouvellac, Philippe Allée et Nicolas Becu.
Après la thèse j’ai pu faire deux post-docs (contrat de recherche CDD), l’un à la chaire « Capital environnemental et Gestion durable des Cours d’Eau » de la fondation de l’université de Limoges, l’autre avec le CNRS au sein de l’OHMi Tessekeré eu Sénégal.

  • Pourquoi ce choix de cursus ?

Considérer le cursus comme un choix, pour moi, revient à tracer une cible autour de la flèche une fois que l’archer a tiré. On pourrait croire que ce cursus est un tracé linéaire, or je me suis beaucoup cherché. Je n’aurais jamais envisagé faire des études aussi longues et pourtant… Ce sont les expériences et les rencontres qui m’ont permis de préciser mes goûts et de vouloir approfondir les questions qui émergeaient au fil des années. Mon cursus révèle une curiosité qui m’a poussé à explorer plusieurs voies disciplinaires avant de trouver la bonne orientation. Et cette exploration est complètement liée au contexte des différentes périodes que j’ai traversées dans ma construction. Le choix du Master Pro à Limoges s’est imposé comme un besoin d’enseignement pratique qui m’a amené à faire des stages dans des centres de recherche et de développement. En fin de master 2 après un stage à la fondation E. Mach en Italie dans la province du Trentino, j’ai eu envie de poursuivre en thèse sur des questions d’interactions société/environnement dans le monde de la vigne et du vin. J’ai eu le soutien du laboratoire GEOLAB, ce qui m’a permis de préciser mon projet de thèse avec Eric Rouvellac et Philippe Allée.

  • Quels retours avez-vous sur le master / thèse ? Son contenu ? La relation avec les enseignants ?

Dans chacune des formations, l’ambiance était très bonne. Il y avait une véritable émulation. Dans les parties de mon cursus en présentiel, les promotions étaient assez réduites ce qui permettait d’établir de vraies relations entre les étudiants, mais aussi avec l’équipe enseignante. Pendant la formation en ligne (DEUST), les méthodes d’apprentissage proche de la classe inversée m’ont amené à développer une grande autonomie avec les outils. Ce qui a été salutaire après pour la thèse et encore aujourd’hui dans ce monde confiné. En thèse, on commence à passer de l’autre côté du miroir, et la grande bienveillance dans l’UMR, encouragés par Frédéric Richard (dir. Adjoint à Limoges) y a été pour beaucoup.

  • Quelles sont les compétences / savoir-faire acquis dans le cadre du master / thèse ?

Grâce au Master pro, et au DEUST, j’ai pu me forger une approche pragmatique du monde du travail. Identifier les clients, les demandes, les livrables, les délais. Mais j’ai aussi l’impression que j’aimais les concepts, ce qui m’a beaucoup plu en thèse et encore plus après la thèse. J’ai aussi une grande appétence pour les outils informatiques, appétence canalisée par la formation DEUST. Ma thèse m’a permis d’hybrider et de valoriser ces deux facettes : technique avec une grosse part de modélisation et conceptuelle autour de la valorisation des territoires viticoles.

  • Avez-vous effectué un stage ? Si oui, où ?

J’ai effectué plusieurs stages dans mon cursus :

1. au Centre d’Ampélographie Alpine (Cevin, FR), ou j’ai découvert le monde du vin, et des paysages construits par les viticulteurs. J’ai travaillé sur la digitalisation d’un inventaire historique des cépages de Rhône-Alpes.
2. CERVIM, Centre d’Étude et de Recherche pour la Viticulture de Montagne (Vallée d’Aoste, It), encadré par Gian-Luca Macchi où j’ai plutôt cherché à quantifier les surfaces viticoles répondant à une classification développée par le CERVIM
3. Fondation E. Mach (Trentino, IT), avec Fabio Zottele où j’ai cherché une méthode pour détecter les vignes en terrasse à l’échelle de la région Trentino à partir de données LIDAR. Et proposition d’une méthodologie alternative sur l’exemple de Banyuls (FR) en partenariat avec le GDA du cru Banyuls sous la supervision de Eric Noémie (Chambre d’agriculture). J’ai remobilisé ensuite dans ma thèse mes deux terrains de stage de master, le Trentino et plus spécifiquement la Val di Cembra, et l’AOC Banyuls Collioure.

  • Comment s’est passée votre insertion professionnelle ?

Si on considère mon insertion professionnelle dans le monde de la recherche (c.a.d. après la thèse), la réponse est complexe. Depuis l’intérieur, elle m’a semblé complexe, longue et douloureuse, car les emplois dans la recherche ne sont pas nombreux et sont sur concours. Les dossiers demandent du temps à préparer, c’est pourquoi on ne peut pas postuler à tous les postes de recherche dans toute la France. Il faut aussi se forger un bon réseau professionnel pour avoir les soutiens nécessaires au moment de la candidature. Et pour autant avec deux ans de recul (et en poste fixe) je trouve que ça a été assez rapide. J’ai eu la chance d’avoir deux post-docs vraiment importants pour ma construction intellectuelle. Ce sont des opportunités de changer de cadre de travail, et donc de cadre de pensée, d’objet de recherche. Dans les deux cas, j’ai pu valoriser ces travaux par la suite. Mais ça a été aussi un moment compliqué parce qu’en sortant d’un doctorat avec plus de 10 ans d’études post-bac, on aimerait bien un peu de stabilité professionnel (en tout cas moi). J’ai donc préparé 6 concours en parallèle de mon travail et j’ai été classé dans les 3 premiers candidats quatre fois. C’est très dur psychologiquement de devoir recommencer à la prochaine campagne. Je me considère donc très chanceux d’avoir été recruté au CIRAD seulement au bout de 2 tentatives.

  • Quel est votre parcours professionnel ?

En suivant les traces laissées par mes fiches de paie, j’ai travaillé sur la gestion des espaces naturels en alternance pendant mon BTS, j’ai été ingénieur d’études quelques mois en fin de master 2 pour la fondation E.Mach. 3 ans de thèse rémunérée par la région Limousin. 18 mois de post-doc avec la fondation de l’université dans le cadre de la chaire d’excellence « capitale environnementale et gestion durable des cours d’eau », 12 mois de post-doc dans le cadre des OHMi du CNRS au Sénégal à travailler sur des problématiques en lien avec la grande muraille verte. Et depuis deux ans chercheur au CIRAD, en temps que géographe et modélisateur.

  • Quel est votre métier actuel ? En quoi consiste-t-il au quotidien? Pourriez-vous nous décrire une journée type ?

.Je travaille dans Unité propre de Recherche du Cirad – GREEN (qui deviendra au premier janvier l’UMR SENS). L’expertise de l’équipe est très connue dans les domaines des approches participatives et plus spécifiquement de la modélisation d’accompagnement (ComMod). Le CIRAD est un établissement de recherche très tourné vers les Sud au sein duquel il participe à des projets de recherche et de développement en mobilisant des approches de modélisation d’accompagnement (ComMod). Dans la vie de tous les jours, je suis amené à accompagner des acteurs qui font face à des situations de tension vis-à-vis des ressources naturelles et des biens communs. Nous les aidons à co-construire une représentation prospective du système qui amène le collectif à formaliser des solutions locales et inclusives. Il n’y a pas de journée type, elle varie en fonction des projets de recherche et/ou développement dans lesquels j’interviens. L’ancrage de recherche autour de questions agricoles dans les pays du Sud implique beaucoup de déplacements à l’étranger.
C’est tout à la fois grisant de pouvoir découvrir des contextes et des situations d’action très diversifiées et très complexes à titre individuel de conserver une direction et une cohérence dans mon projet de recherche. Là encore le temps joue dans le bon sens. Au bout de deux ans, je sais mieux me positionner dans les projets, et les partenaires du Nord et du Sud m’identifient mieux. J’ai donc beaucoup de réunions à distance avec les partenaires locaux. Je dois également rédiger des articles, répondre à des appels d’offres pour financer les projets de recherche à venir, faire de la veille sur les sujets et les technologies que j’utilise, encadrer des étudiants… Bref, aussi beaucoup de travail derrière l’ordinateur.

  • Quels liens entre les compétences acquises pendant le master et votre travail actuel ?

Durant ma thèse, j’ai fait le pari de la technique au service d’une géographie sociale. J’avais l’impression que la maîtrise fine des outils me permettrait de traiter au mieux les questions spatiales. J’étais convaincu qu’on a plus de difficultés à comprendre un objet si on ne sait pas utiliser les outils pour le manipuler, et la cartographie (Qgis, R), la modélisation (Netlogo, Gama, R), ou encore les statistiques (R) étaient autant d’outils pour comprendre la spatialité des objets. Mes positionnements théoriques et scientifiques se sont inscrits et nourris de la pratique durant mes deux post-doctorats, mais aussi depuis mon entrée au CIRAD. Aujourd’hui je travaille sur l’opportunité de mobiliser une approche par les Communs dans les projets de développement. J’utilise moins d’outils, et mobilise plus de théories. Mais il y a un temps pour tout, et la simulation n’est jamais bien loin. Je travaille avec beaucoup de jeunes chercheurs très dynamiques en Europe, en Afrique, et en Asie qui par leurs pratiques de la simulation me forcent à adopter une posture critique de mes propres pratiques. C’est incroyablement stimulant.

  • Des conseils pour les futurs étudiants de master ou de thèse ?

Je pense qu’il n’y a pas (et peut-être heureusement) de recettes et de conseils précis s’appliquant à tous futurs étudiants. J’ai l’impression que malheureusement les différentes réformes de l’enseignement supérieur ont rigidifié les cursus. Je ne suis pas sûr que je pourrai refaire mon parcours aujourd’hui. J’ai commencé mon année post-bac en faculté de Médecine pour finir en thèse de géographie. La majorité de mon cursus s’est faite par voie professionnalisante, ce qui ne m’a pas empêché de postuler en thèse (il a fallu quand même argumenter ! ). Est-ce que ce serait possible aujourd’hui ? Que ce soit mon expérience ou celle de mes proches, les parcours sont rarement linéaires, ce sont les rencontres et les opportunités qui forgent le cursus universitaire. Faire des stages, aller voir sur le terrain, rencontrer les professionnels ou les chercheurs de sa branche, tout ce qui peut aider à faire émerger des idées.

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